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Dans deux noms propres, la nasalation initiale si fréquente en albanais nous en fait découvrir le sens primitif, — nous voulons parler de 'Evdais, l'épouse d'Eaque et la mère de Pélée, et de 'Evdvμíwv, le protégé de Diane. 'Evdɛ-ja en alb. signifie calice de fleur, genanthe", de deu, je fleuris, ce qui donne un joli nom pour une jeune fille. Quant à Endymion, le mot dérive évidemment du verbe ivdiμouj, dont le sens est: j'aide, je protège, et qui a donné naissance aux substantifs dipμevtape, associé; dixusa, secours, protection. Endymion pourrait tirer en effet son nom aussi bien de la faveur que lui accordait Diane que de celle dont il honorait les Éléens. Il était l'amant de l'une et le patron des autres ').

V.

ALBANAIS, PÉLASGES, LÉLÈGES.

Dans l'antiquité, l'Épire était considérée comme un pays habité par des barbares. Ses habitants appartenaient selon les auteurs les plus dignes de foi surtout à la race illyrienne. Quant au nom de l'Albanie, il n'apparaît dans l'histoire que vers la fin du onzième siècle; il tire son origine de la capitale du pays: "Axẞavov, "Apßavov, Elbanon, aujourd'hui Elbassan 2). Ce sont les auteurs byzantins qui l'emploient les premiers, après s'être servis assez longtemps, à l'instar de Strabon, des noms d'Illyrie et d'Épire. C'est de l'Illyrie et de l'Épire qu'ont du descendre dans les campagnes de la Grèce, avant l'immigration des Grecs eux-mêmes, ces peuplades que Strabon appelle barbares: Caucones, Aoniens, Hyantes, Temmices, etc. Mêlées sans doute à des colons sémites, et probablement

1) Il y aurait lieu de parler ici des traces que la langue des plus anciens habitants de la Grèce a laissées dans la grammaire grecque (v. entr' autres La Grèce avant les Grecs, p. 43-48, et Analyse de la grammaire albanaise, p. 184. 185). Il faudrait peut-être ajouter un paragraphe sur les mœurs et les habitudes caractéristiques des Pélasges et des Lélèges qui ont persisté chez les Grecs. Telle est la gynécocratie, qui a régné chez eux si longtemps; tel leur usage de se renfermer dans des enceintes fortifiées et des murailles cyclopéennes. Mais ces faits étant étrangers apparemment aux habitants de la ville d'Ilion, nous nous proposons d'en traiter ailleurs.

2) Hahn, p. 311.

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libyens, elles avaient été comprises à la longue, en bloc, sous les noms de Pélasges et de Lélèges.

Du nom des Pélasges, différentes explications ont été données; nous les avons exposées nous-mêmes 1). Nous nous sommes arrêtés à une des plus anciennes, comme étant la plus naturelle et la plus conforme aux mœurs de la race. Malgré la difficulté phonétique que présente la permutation de l'r et de l's au milieu d'un mot, Пeλasyoi semble être dit pour eλapyol, les cigognes, c.-à.-d. oiseaux de passage. Car c'est après tout à des hordes de nomades que Thucydide et Strabon comparent les populations primitives de la Grèce. D'ailleurs, TEλapyós n'est pas usité seulement comme nom appellatif. Pausanias nous entretient d'une Пeλapyý, qui rétablit à Thèbes le culte pélasgique des Cabires, divinités phéniciennes, aboli apparemment par les Épigones après leur victoire 2). Quant aux Lélèges, l'origine de leur nom ne peut pas être expliquée par une racine grecque. Le mot est albanais ou, si l'on aime mieux, pélasgique et il signifie pareillement cigogne. Toutefois ce n'est pas seulement chez les Albanais, c'est aussi chez les Valaques du Pinde et chez les Néo-grecs que la cigogne se dit Aλéx ou xejéx. Enfin, chose curieuse, c'est le terme usité pour cet oiseau par les Arabes 3). Ces deux coïncidences ne m' ayant pas paru utiles à mentionner, je n'ai cité que la première dans ma communication verbale.

OBSERVATIONS. 1. M. Oppert s'est emparé de ce qu'il considérait comme un oubli de ma part, croyant ainsi détruire mon argumentation et démontrer la vanité de ma thèse. Il ne s'est pas douté de la grave erreur qu'il commettait. Les Arabes débutent dans l'histoire au plus tôt vers le IIme ou le IIIme siècle de notre ère. On ne voit pas quel rapport il aurait pu y avoir entre eux et les Lélèges apparaissant au Xme, peut-être au XIVme, siècle avant notre ère, à moins qu'on n'admette que les Phé

1) La Grèce avant les Grecs, p. 25-32.

2) C'est ici le cas de rappeler l'accueil fait par les Athéniens aux Pélasges fuyant devant l'invasion des Doriens. Ils leur cédèrent un champ pierreux au Nord de la ville, où les Pélasges bâtirent le bastion qui porta leur nom. Photius n'hésita pas à les identifier avec les Tyrrheniens: Πελαργικὸν τὸ ὑπὸ τῶν Τυῤῥανῶν κατασκευασθὲν τῆς ἀκροπόλεως τεῖχος (La Grèce avant les Grecs, p. 15).

3) Hahn, p. 246. 247.

niciens aient employé de leur temps, le même terme pour la cigogne que les Arabes. (Les Hébreux, p. e., se servaient d'un autre.) Mais qui donc a jamais contesté l'influence si considérable exercée par les Phéniciens sur la Grèce archaïque? Comme en dehors de cette observation, M. Oppert n'a pu ou voulu opposer qu'une négation pure et simple, trop générale et trop lointaine pour, en l'espèce, militer contre. des données précises, serrant de près la question, l'inanité de sa critique n'a pu obtenir de moi pour unique réponse que le silence.

2. Les doublets par traduction sont plus nombreux qu'on ne pourrait penser.

Strabon nous entretient d'une population „les Temmices", qui serait venue de Sunium (hébr. shoun, reposer). Or, le t grec répond souvent au zadé hébreu, p. e. Túpos, hébr. Zór, forteresse. C'est ainsi que le nom de la ville africaine de Zama vient d'une racine zámé, être desséché, avoir soif, racine dont zamak n'est qu'une variante. Les Temmices sont en réalité les habitants d'un canton aride, brûlé par le soleil. Or, à la pointe sud de l'Attique se trouve précisément le dème des 'Avio, autrement dit des desséchés.

C'est ainsi que nous avons comparé les Hectènes de Strabon (Hiphil de kátón, être petit) aux Mivues, les petits, qui ainsi que les habitants de Thèbes, ont été de bonne heure en relations avec les Sémites. On sait qu'à la même racine hébraïque se rattache l'ancêtre des Arabes du Midi: Yoktan.

Le Xanthos, qui arrose la Lycie et qui coule près de la ville portant le même nom, s'appelait, de l'aveu de Strabon, autrefois Zipßns. Or, zirbiyy signifie en arabe (et en phénicien?) ,,jaune rougeâtre". Le nom de Xanthos paraît donc avoir été la traduction d'un ancien mot indigène. En effet, dans la haute antiquité, le pays tout entier était habité par des Sémites, les Solymes refoulés plus tard par la population lélège, etc. etc. 1).

3. Les onomatopées.

Nous ferons remarquer à propos de ljekljek, cigogne, que, selon toute apparence, ce mot est une onomatopée, imitant le

1) La Grèce avant les Grecs, p. 83. Je rappelerai encore le nom du dieu carien Labrandeus (de λáßpuç, hache) identifié depuis longtemps avec le chars-el sémitique (le dieu de la hache). Ibid., p. 183.

cri de l'oiseau (comparez l'allemand Klapperstorch, cigogne qui claquète). Les onomatopées circulent facilement de peuple à peuple. Le mot coucou n'est-il pas une onomatopée aussi? La chouette se dit ulula en latin; Uhu en allemand; et c'est le même nom que les Kalmouks paraissent lui donner. Les Allemands appellent le corbeau Rabe, mot qui ne diffère pas beaucoup de l'hébreu őréb (y). Nous ne pousserons pas plus loin ces rapprochements.

VI.

SKIPETARS. TROIE. LES LÉLÈGES DANS LA LYCIE.

Quels qu'aient été les noms que Pélasges et Lélèges se soient donnés jadis 1), qu'ils les aient pris eux-mêmes ou qu'ils leur aient été donnés par des populations d'une autre race, il est certain que de nos jours ils se désignent par le nom de Skipétars. Hahn a proposé plusieurs explications de l'origine de ce nom; il est bien probable pourtant que sa première, sa véritable signification a été montagnard. En effet, öxε, öxin veut dire „rocher, mont abrupt" en albanais.

Et sait-on où l'on trouve la première trace de ce nom? Dans celui d'un des dèmes de l'Attique, EvTÉTη, qui aurait pu s'écrire et se prononcer Σκυπέτη (ep. σκίφος et ξίφος, etc.) *) ; puis Strabon nous assure que le premier nom de ce dème a été Tpoía 3). Nous savons en effet, que la terre d'Attique avait servi d'asyle aux Pélasges; que les Phéniciens y avaient eu des factoreries, comme le prouve la mention d'un roi Porphyrion, qui y avait régné nous nous souvenons de l'invasion des Amazones, du taureau de Minos, c.-à-d. de l'introduction de cultes sémitiques dont Thésée, d'après la légende, aurait affranchi son pays; donc Xypeté ou Troie pouvait bien avoir été un endroit où, à l'instar d'autres étrangers, les Lélèges s'étaient fixés au milieu de la population ionienne. Car Troie, après tout, est un mot lélège, qui se ramène aisément à une racine albanaise.

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1) Il est très possible qu'ils se soient donné ces noms eux-mêmes. Les Dardaniens, les Mysiens paraissent s'être appelés d'après des arbres; les Enchéléens, les Bisaltes, les Bithyniens ont pris peut-être des noms de poissons (Hahn, p. 236. 240). 2) Il y avait près de Colophon, d'après Pausanias, une petite localité appelée 3) Strabon, XIII, p. 517, 34.

Σκύππιον.

Il existait dans la Crète archaïque une ville qui avait nom Milet, qui fut, au dire de Strabon, détruite dans des guerres intestines, par ceux de Lyktos. La fable fait de Milétos un beau jeune homme que se seraient disputé les trois fils d'Europe Minos, Rhadamanthys et Sarpédon. Minos expulsa ses deux frères ainsi que Milétos. Ce dernier s'enfuit dans la Carie et y fonda la ville qui devait porter son nom 1). Dans Minos, nous savons qu'il faut reconnaître le symbole de la puissance phénicienne dans la mer Égée. Le mythe semble signifier que les Phéniciens s'étant emparés d'une grande partie de l'île de Crète, un certain nombre des anciens habitants de l'île furent obligés d'émigrer. Ces habitants étaient des Lélèges. Car c'est aux Lélèges que Milet appartenait lorsque les Ioniens venaient l'occuper ). On y montrait encore longtemps leurs tombeaux, les ruines de leurs châteaux forts et de leurs habitations (AEλeyεTα). En albanais, milet veut dire „tribu, peuple"; le mot se rattache à ußenjede, assembler; ßjéλa, semence, semailles; et en dernier lieu à ußis ou μßjéλ, je sème, je plante. Par les mots μιλέτι Σκιπερίσε on désigne encore aujourd'hui le peuple des Skipétars.

Une autre partie de la population indigène de la Crète, conduite par Sarpédon, plus particulièrement attaché à Milétos 3), se serait établie dans la Lycie et aurait, avec l'aide de Klxış, refoulé les Solymes, appartenant comme Kilix à la race sémitique, et, les rejetant vers la Pisidie, aurait occupé la belle vallée qu'arrose le Xanthos. Ces émigrés s'appelaient eux-mêmes Termiles). Ce n'est que plus tard qu'ils prirent le nom de Lyciens, qui leur était venu de Lykos, fils de Pandion, roi d'Attique. Hécatée, Panyasis et Étienne de Byzance appellent la Lycie entière: Tpeuían, d'après un Trémylos qui, au dire d'Étienne de Byzance, aurait été le père de Tlos. Dans les inscriptions lyciennes publiées par Fellows, on trouve les noms des Tramélé et des Trooes, dont les premiers surtout sont considérés par lui comme les habitants de la ville de Xanthos et

1) La Grèce avant les Grecs, p. 75 et suiv.

2) Strabon, XIV, p. 542, 29.

3) Preller, Griech. Mythologie, II, p. 81. 4) Hérodote, I, 173.

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