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le rôle capital que jouèrent les Phéniciens durant deux siècles, et les privilèges nombreux que leur accordèrent les rois de Perse. Darius, fils d'Hystaspe, les comprit dans la 5 satrapie, en leur ajoutant la Philistée et l'île de Chypre, et ne leur imposa qu'un tribut annuel presque dérisoire de 350 talents.

Mais, déjà sous Xerxès, les relations des deux peuples com- . mencèrent à s'altérer. Les Phéniciens virent leur puissance maritime amoindrie par les défaites que leur infligèrent les Grecs. Ces dispositions ne firent que s'accentuer sous Artaxerxès II Mnémon. Enfin, en 351, sous Artaxerxès Ochus, Sidon se révolta et massacra la garnison persane; trahie par son roi Tennès, elle fut prise, réduite en cendres, et ses habitants vendus comme esclaves. L'arrivée d'Alexandre fut saluée comme une délivrance. Sitôt après la bataille d'Issus (333), Byblos, Aradus, Sidon firent leur soumission. Alexandre déposa le roi de Sidon Straton (qu'il ne faut pas confondre avec Straton le Philhellène) et le remplaça par un rejeton de l'ancienne famille régnante, Abdalonyme. Tyr, cette fois encore, fut seule à résister; mais elle fut prise après un siège de sept mois et subit toutes les horreurs du pillage. Les chefs furent décapités ou mis en croix, et les habitants emmenés en esclavage. La digue gigantesque d'Alexandre est la base de cette langue. de terre, large de plus d'un kilomètre, qui joint aujourd'hui Sour à la terre ferme.

Ces derniers événements doivent être à peu près contemporains de ceux qui sont mentionnés sur la grande inscription du sarcophage d'Esmounazar. L'inscription nomme trois rois, dont aucun n'est cité par les auteurs anciens: Esmounazar (II), qui régna quatorze ans, son père Tabnit et son grand-père Esmounazar (I). Le nom de Tabnit correspond bien à celui de Tennès; mais la haine des Sidoniens pour celui qui les avait trahis permettrait difficilement de reconnaître dans ce Tabnit le roi qui vivait en 351. On considère en général ces trois rois comme antérieurs à Straton le Philhellène, et on les place au commencement du quatrième et à la fin du cinquième siècle; mais cette opinion a été fortement contestée dans ces derniers temps et ne doit être acceptée qu'avec une certaine réserve. L'inscription d'Esmounazar mentionne expressément les services qu'avaient rendus ce prince et sa mère Ammastoret, prêtresse et reine, et qui paraît avoir été régente, au Roi des Rois, et elle nous apprend qu'ils en avaient reçu en échange les villes de Dor et de Joppe dans la belle plaine de Sarón. Deux autres inscriptions, l'une également trouvée à Sidon, l'autre trouvée à Délos, et faite à l'occasion d'une théorie de marins tyriens, portent la mention d'un roi des Sidoniens qu'elles nomment Bodastart (Straton), mais nous ne savons auquel des Straton ces indications se rapportent.

Pendant la période syro-macédonienne, Aradus et Byblos repren nent le premier rang, ainsi qu'une ville, fondée par des colonies de Tyr, de Sidon et d'Aradus, Tripolis (la triple ville). Tripolis devint le siège d'une confédération, représentée par trois cents sénateurs,

qui siégeaient sous la présidence des rois de Byblos, de Tyr et d'Aradus. A partir de ce moment, la Phénicie prit le nom de SyroPhénicie, par opposition à la Libye-Phénicie. Cette division persista jusque sous les Romains. En l'an 64 avant Jésus-Christ, Pompée réduisit la Phénicie en province romaine et y abolit la royauté.

Avec la domination romaine finit le rôle politique de la Phénicie ; mais son rôle commercial se prolongea jusqu'au moyen âge. Et, à vrai dire, telle avait été déjà dans l'antiquité, la signification de l'histoire de la Phénicie. L'importance de l'histoire politique des Phéniciens est peu de chose en effet, comparée à l'influence extrêmement étendue qu'ils ont exercée sur le monde et au rôle immense qu'ils y ont joué. L'esprit phénicien, doué d'une grande activité et de tendances toutes pratiques, était étranger à la poésie, aux beautés idéales et à la belle littérature; mais il a porté tout son effort sur les connaissances utiles. Les Phéniciens ont créé l'alphabet, et ils ont fait faire des progrès sensibles aux sciences exactes, au calcul, à la géométrie, à la mécanique, à l'astronomie, et surtout à la géographie, dont ils ont, plus qu'aucun autre peuple, reculé les bornes. Ils ont enfin importé en Occident, par leur commerce, sous la forme de représentations figurées, la plupart des types créés par l'imagination orientale, et ils ont exercé par là une action profonde sur la religion primitive des Grecs, sur leurs beaux-arts et leur littérature.

III

LANGUE ET LITTÉRATURE

On a parlé ailleurs fort en détail de l'écriture phénicienne (voyez l'Ecriture et les Inscr. Sém. 1. c.). La langue des Phéniciens était un dialecte sémitique. Il y a entre leur langue, telle que nous la font connaître les monuments, et les relations des auteurs anciens sur leurs origines un désaccord qui a fait tenir pendant longtemps les renseignements des anciens pour inexacts, et est encore de nature à inspirer des doutes sérieux aux meilleurs esprits. Il convient. pourtant de remarquer qu'il n'y a pas, entre les peuples couschites et les peuples sémitiques proprement dits, une différence comparable à celle qui existe entre les Sémites et les Indo-européens; ce sont deux rameaux d'un même tronc, qu'on a appelé dans ces derniers temps le groupe sémito-chamite. L'égyptien luimême, quoique fort différent de l'hébreu et infiniment plus riche que lui, offre des rapprochements avec un certain nombre de formes hébraïques; c'est dans la grammaire égyptienne, qu'on trouve l'explication du pronom sémitique. L'écriture influe beaucoup sur la pro

nonciation d'une langue; si les Egyptiens avaient inventé l'alphabet, ils auraient été amenés à beaucoup simplifier leur langue. Il est enfin possible que le contact prolongé des Cananéens et des Hébreux ait amené la fusion des deux langues. Malgré tout, la parenté de l'hébreu avec le phénicien reste un des problèmes les plus étranges de la linguistique. Un fait certain, c'est que les Hébreux et les Phéniciens se comprenaient mutuellement; nulle part il n'est question d'interprètes dans leurs relations politiques, et l'étude des textes confirme pleinement les conclusions auxquelles conduit à cet égard la lecture des livres historiques de l'Ancien Testament.

Les monuments de la langue phénicienne sont très rares. Ce sont d'abord les inscriptions (voyez l'Ecrilure et les Inscriptions, etc.), puis deux ou trois scènes du Pœnulus de Plaute, que l'on a longtemps considérées comme ne présentant aucun sens, mais qui sont en réalité, on en a aujourd'hui la certitude, une page de phénicien vulgaire d'Afrique. Ces scènes sont accompagnées d'une traduction juxta-linéaire en latin, qui facilite l'interprétation et permet d'en contrôler l'exactitude. Il faut citer ensuite les noms propres, les noms géographiques et quelques mots isolés qui se trouvent dans la Bible, ou bien épars sur les inscriptions assyriennes ou égyptiennes; enfin les renseignements très précis et très nombreux que l'on trouve dans les œuvres de saint Augustin, qui avait vécu à Carthage, au sein même de la société phénicienne. L'ouvrage fondamental pour l'étude de la langue phénicienne était, jusqu'à ces derniers temps, le livre de Gesenius, Scripturæ linguæque phoenicia monumenta; Lipsia, 1837, in-4°. Il a été complété depuis, et souvent corrigé par Lévy, Phönizische Studien, Breslau, 1856-1868; Schröder, Die phonizische Sprache, Halle, 1869, in-8°; B. Stade, Erneute Prüfung der zwischen dem Phönicischen und Hebräischen bestehenden Verwandtschaft (fait partie du volume de Morgenländische Forschungen, composé pour le cinquantenaire de M. le professeur Fleischer, Leipzig, 1875, in-8°). Tous ces travaux devront désormais être rapprochés sans cesse du Corpus inscriptionum semilicarum, Pars Prima, Inscriptiones phoniciæ. Tomus I, Paris, 1881, in-4°, et atlas in-fo, qui a groupé tous les textes phéniciens connus jusqu'à ce jour, et ajouté un grand nombre de formes nouvelles à celles que l'on possédait auparavant.

Les racines phéniciennes sont à peu près identiques à celles de l'hébreu; c'est, en grande partie du moins, à l'aide du dictionnaire hébreu que l'on déchiffre les inscriptions phéniciennes; pourtant un certain nombre de mots sont réfractaires à cette analyse. On rencontre aussi dans le langage courant des Phéniciens des mots qui n'existent en hébreu que dans le langage poétique. La grammaire phénicienne paraît représenter un état de la langue plus primitif et moins arrêté que l'hébreu, quoique les monuments qui nous la font connaître soient en général beaucoup plus récents que les textes bibliques. Il est vrai qu'il est très difficile de distinguer ce qui vient de l'écriture et ce qui tient à la langue elle-même. Non seulement les Phéniciens n'écrivaient pas les voyelles, mais ils n'avaient

pas de lettres quiescentes, c'est-à-dire de consonnes destinées à marquer la place des voyelles longues. Souvent même ils supprimaient des lettres radicales que nous sommes habitués à considérer comme essentielles au mot, l'aleph en particulier; ils ne tenaient pas non plus compte du iod du duel; on peut douter qu'ils écrivissent le he final des verbes lamed-hé. Au contraire, certains mots, qu'on s'attendrait à voir écrits sans quiescentes, en prennent, comme l'article, qui s'écrit aït, par un iod, au lieu de êt. Ces différences n'étaient pas seulement le fait de l'écriture. Pour s'en convaincre, on n'a qu'à comparer aux inscriptions phéniciennes l'inscription de Mésa, et surtout, la dédicace du canal de Siloé, qui répond, pour la date, aux monuments phéniciens les plus anciens, et qui est écrite en hébreu de Jérusalem. Le système des quiescentes et des consonnes faibles s'y trouve déjà presqu'entier, et est bien fait pour dérouter les théories que l'on bâtissait sur la date récente des quiescentes; c'est de l'hébreu, tel que la Bible nous le fait connaître.

Pour la phonétique, les différences du phénicien et de l'hébreu sont assez notables. Elles portent surtout sur les gutturales et sur les semivoyelles. D'autres ordres de lettres, les sifflantes et les nasales, en sont pourtant aussi atteintes. Pour les sifflantes, ces différences consistent principalement dans l'emploi fréquent du samech à la place du zain, et quelquefois même du sin; en tous cas, dans les transcriptions de noms propres grecs ou latins, le samech et le sin sont employés indistinctement pour rendre le sigma final. Les permutations des gutturales sont beaucoup plus importantes (Schröder, Phön. Spr., p. 79 ss.). Le phénicien, même sans tenir compte du néo-punique, qui représente le dernier degré d'altération de la langue, a une certaine tendance à affaiblir les gutturales; quelquefois il les supprime entièrement soit au commencement des noms propres, soit dans le courant des mots. L'aleph, la plus faible de toutes, est d'un emploi fréquent, soit comme prosthèse, dans les noms tirés du grec, par exemple, soit comme suffixe. Le hé, au contraire, tombe facilement; il est remplacé dans certains cas, par une nasale: zen zeh, nám=hem); souvent aussi par un iod, ou par le tav, qu'on ne rencontre qu'exceptionnellement employé de cette façon en hébreu.

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La langue phénicienne paraît avoir une certaine prédilection pour la désinence tav; elle l'ajoute même à des mots qui n'en ont aucune en hébreu; ainsi hem «eux » devient hemat; al « sur » devient àlat. D'autres permutations sont encore plus surprenantes ; dans ce nombre il faut ranger la confusion du het et du kaph, et, dans certains cas, du nun et du lamed (Bodmenqart, Boncar Bodmelqart). Les nasales, surtout la lettre n, jouent en phénicien, ainsi qu'on a pu le voir, un rôle considérable; mais, le fait le plus caractéristique est la prédominance des semi-voyelles, et principalement du iod, qui arrive à se substituer, dans un grand nombre de cas, au vav ou au he, ou même à la nasalen (cf. natan « donner » = iaton). A ce fait il faut enfin en rattacher un autre qui y est connexe, la prédominence des sons i et u dans la vocalisation. Nous en avons comme preuve les

passages phéniciens du Pœnulus, dont la lecture est particulièrement instructive, parcequ'ils nous livrent la vocalisation du phénicien sur laquelle l'écriture ne nous apprend rien ou presque rien. Les indications que nous fournissent ces passages sont pleinement confirmées par les remarques que nous avons eu l'occasion de faire sur le rôle du iod en phénicien.

Dans la formation des mots, les différences du phénicien et de l'hébreu sont surtout sensibles pour les thèmes pronominaux, les suffixes, les préfixes, et toute la partie de la grammaire qui concerne les flexions. Le trait le plus remarquable, celui qu'on a le plus longtemps hésité à admettre, c'est le changement du pronom suffixe de la 3 personne du singulier, qui s'écrit en phénicien par un iod, comme celui de la première, et non par un vav, comme en hébreu; ce pronom est en outre le même pour le masculin et le féminin. Le pronom suffixe de la 3 personne pluriel est en nåm au lieu de hem, par la suppression du hé, qui est remplacé par un nun; ce nun lui-même est souvent précédé d'un autre nun épenthétique, qui reparaît avant les pronoms suffixes des autres personnes, tant du singulier que du pluriel. Le pronom démonstratif se présente aussi sous des formes assez indécises. Il perd son hé final, qui tantôt disparaît entièrement, tantôt est remplacé par un aleph, ze, ou par un nun, zen. Quelquefois même l'aleph se place avant le zain: az. Là encore le féminin est identique au masculin. Un trait commun à toutes ces formes est la confusion fréquente du masculin et du féminin, confusion que l'on retrouve peut-être jusque dans les verbes. Dans la conjugaison, certaines personnes comme la 3° personne pluriel du parfait, qui est ou en hébreu, ne se marquent. pas du tout, de telle sorte qu'on peut hésiter si l'on est en présence d'un singulier ou d'un pluriel. Au hiphil, le hé préfixe est remplacé par un iod; du moins n'avons-nous pas un seul exemple du hiphil écrit par un hé. Enfin, dans les substantifs, la terminaison du féminin est constamment en t au lieu d'être en h.

Il est difficile de comparer utilement l'hébreu avec le phénicien, à cause du petit nombre de formes grammaticales que nous fournissent les inscriptions. Il ne faut pas oublier du reste que la langue des inscriptions n'a rien de littéraire, et que les monuments phéniciens que nous possédons sont tous de très basse époque, comparés aux monuments de la littérature hébraïque. Autant qu'on peut en juger cependant, la grammaire phénicienne se distingue de la grammaire hébraïque, pour la phonétique, par un emploi sensiblement différent des gutturales, et par la place considérable qu'elle fait à la semi-voyelle j, aux nasales, et à la lettre t; pour les flexions, par la confusion fréquente des genres, et quelquefois par l'absence de signes distinctifs du singulier et du pluriel; pour la déclinaison, par la terminaison du féminin, où l'h est remplacé par le t. Elle s'en distingue enfin par tout un système de particules et de pronoms suffixes, assez différent de celui auquel l'hébreu nous a habitués. Il semble qu'on soit en présence d'une langue plus barbare, et dans

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