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n'est pas une faculté innée, en tant qu'il s'agit de distinguer entre le faux et le réel. Nous observons d'ailleurs par l'imagination avant d'apprendre à observer par les sens. Pour faire une observation sûre, une observation qui ait une valeur, il faut y être préparé par un exercice spécial, et par l'étude des conditions nécessaires. Observer est un art, et tout homme n'est pas artiste.

§ 19. PUBLICITÉ DES FAITS.

La publicité des faits, sur laquelle on a souvent insisté, n'a pas au fond plus de valeur que le chiffre numérique des témoignages. Elle ne peut en avoir, quelque grande qu'elle soit, si les observateurs n'offrent pas de garantie. Nous sommes les premiers à proclamer que des expériences exécutées à huis clos, des assertions que personne n'a pu vérifier doivent exciter le soupçon et engendrer le doute. Mais l'exposition à tous les regards n'est pas par elle-même une circonstance probante qui suffise. L'exemple de la figure humaine dans la lune a dû le faire comprendre. On a vu que les illusions des spectateurs sont contagieuses, et que l'homme regarde dans le monde interne tout comme dans le monde extérieur. C'est dans ce monde interne que se voient, aussi distinctement que dans l'objectif même, les prodiges qui appartiennent au pays et au temps.

Les esprits portés à l'enthousiasme, dit un écrivain, « ou bien se créent des fictions qu'ils font semblant de voir, ou bien se figurent en songe ce qu'ils ne voient

pas, et prétendent nous montrer comme avec le doigt ce qui n'existe point 1. »

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Si nous ne consultions que la publicité, une circonstance prétenduement historique, qui se rattache à l'origine même d'une nation, aurait pour elle un degré de certitude dont rien ne pourrait approcher. C'est, en effet, un peuple entier qui vient en porter témoignage, dans les conditions les plus importantes et les plus solennelles. L'événement s'est passé sous les regards de la multitude. Eh bien, appliquons cette épreuve au cas de Guillaume Tell. L'exemple n'est pas bien reculé : il ne remonte qu'à la moitié de l'intervalle qui nous sépare de Charlemagne. Pourtant l'histoire de Guillaume Tell et de la pomme est reconnue aujourd'hui pour une fiction. Bien plus, c'est une copie d'une saga islandaise, antérieure à l'existence même de la nationalité suisse 2.

Force est donc d'admettre que, quelles que soient la sincérité et la conviction des masses, la source d'où proviennent les notions n'est pas sûrement déterminée a priori. Les relations peuvent aussi bien se rapporter à l'idéal qu'à la réalité.

§ 20. LAMPES SEPULCRALES.

L'exemple des lampes sépulcrales, que j'ai cité dans un autre ouvrage, est si instructif que je me permettrai

1 . O por ventura adivinan y fingen que ven, ó suenan lo que no ven, y procuran mostrarnos con el dedo lo que no hay.. (Mariana, Historia de Espana, lib. V, cap. 4)

• Voyez l'article de Jacob Grimm, dans le Deutsches Museum de Fr. Schlegel, Bd. III, S. 58.

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d'y revenir ici, au moins brièvement. Les Romains plaçaient dans les tombeaux, à côté des cendres du mort, une lampe allumée. Ils fermaient ensuite le sépulcre. Eh bien, au moyen âge, et jusqu'au milieu du xvIe siècle, quand on ouvrait les tombes romaines, on trouvait, disaient les témoins, la lampe qui brûlait encore 1. Le feu s'était conservé mille, douze cents, quinze cents ans, sans alimentation de combustible. Parfois, pour préserver la flamme des agitations de l'air, la lampe avait été déposée dans un bocal fermé. C'était donc en vase clos, et par conséquent privée d'oxygène, que la combustion avait continué pendant bien des siècles. Enfin, pour rendre ces faits plus extraordinaires, il arrivait que la flamme résistait soit au souffle, soit à l'eau qu'on jetait sur la mèche.

Les témoignages apportés à l'appui de ces assertions sont faits pour étonner profondément ceux qui n'ont pas étudié dans les sources l'histoire des sciences. Les procès-verbaux de l'ouverture d'un sépulcre romain dans l'île de Nisida, près de Naples, réunis par Porta 2, nous feraient presque douter du jugement humain. Des hommes graves, honorés, appartenant à différentes professions, entre autres un magistrat renommé, attestent pour l'avoir vu de leurs yeux et de la manière la plus authen

1 Voyez les récits rapportés dans saint Augustin, De civitate Dei, lib. XXI, cap. 6, et dans son commentateur Ludovicus Vives; Panciroli, De mirabilibus ab antiquis notis, et le traité spécial de Liceti, De lucernis antiquorum.

• Porta, Magia naturalis, grande édition de 1589, lib. XII. L'île de Nisida est la Nesis des anciens.

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hommes qui s'encourent avec le feu à leurs membres et qui sont obligés, pour l'arrêter, de se couper au plus vite le pied ou la main 1.

Ce qu'on atteste aujourd'hui, c'est qu'on a vu l'ivrogne - car il s'agit toujours de personnes dans un état d'ivresse très-grave au milieu du feu qui le consu

mait. Il brûlait ou sur sa chaise ou dans son lit. Dans tous les cas, il y avait une chandelle, un réchaud ou des allumettes sous la main. Toutes les enquêtes rigoureuses établissent qu'en effet ce n'est pas le corps qui s'enflamme et qui allume les objets voisins. Ce sont ces objets qui sont d'abord mis en feu par la négligence de l'ivrogne; celui-ci est sans force pour se sauver, et dans l'incendie son corps est brûlé.

Mais que deviennent alors ces flammes qui sortaient de la bouche et des narines de ceux chez lesquels la combustion venait à se déclarer? Eh bien, il faut les mettre avec celles des lampes sépulcrales dont nous parlions tout à l'heure. Elles sont rentrées comme celles-ci dans le domaine du rêve. Que l'on suive d'ailleurs un instant la gradation qui s'offre dans les descriptions et l'on verra qu'il y avait derrière ces récits un enseignement moral, une leçon désirée à laquelle on était préoccupé d'arriver.

Trois nobles de Courlande ayant bu au plus fort, deux d'entre eux sentirent le feu s'allumer dans leur estomac et bientôt ils furent suffoqués par les flammes qui leur montèrent à la bouche 2. Du temps de la 1 Ce conte est rapporté très-sérieusement par l'historien allemand Krantz, en latin Krantzius, du xve siècle.

2 J.-C. Sturm, dans les Ephemerides germanicæ.

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