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ce ne fut que cinq ou fix ans après qu'il devint un objet important. On espéroit encore davantage de fa fortune, lorfque deux guerres ruineufes interrompirent ou ruinerent fes opérations.

Il eft prouvé que les ventes faites à l'Orient depuis 1726, jufques & y compris 1756, époque de la derniere guerre, n'ont monté qu'à quatre cents trentefept millions trois cents fep tante-fix mille deux cents huitante-quatre livres. On a gagné réguliérement de l'achat à la vente, cent deux pour cent depuis 1740jufqu'en 1756; de forte qu'en fuppofant les bénéfices toujours les mêmes, les exportations d'argent ont dû se réduire à deux cents feize millions cinq cents. vingt-deux mille neuf cents douze livres. Il feroit naturel de diftraire de cette fomme le produit des marchandises portées d'Europe en Afie; mais les troubles où la compagnie s'eft engagée, ont plus fait fortir de métaux de la métropole, que l'exportation de fes marchandifes n'y en a retenu..

Si on veut examiner à combien s'eft élevé le commerce annuel de la compagnie durant cet efpace de temps, on trouvera qu'il n'a pas paffé quatorze millions cent huit mille neuf cents douze livres. Des retours de vingt-quatre mil

lions auroient été à peine fuffifants pour la feule confommation du royaume, & ils auroient dû être beaucoup plus confidérables pour pouvoir fournir aux befoins des états voisins.

Ces importantes confidérations devoient fixer l'attention du gouvernement & des actionnaires au moment où le retour de la paix permettroit à la France de reprendre le commerce des Indes. Ce moment arriva, mais la perte de tous les établiffements de l'Inde, les événements qui l'avoient précédée, ceux qui l'avoient fuivie, jeterent le défefpoir dans l'ame des actionnaires, & ce défefpoir enfanta cent fyftêmes, la plupart abfurdes. On paffoit rapidement de l'un à l'autre, fans qu'aucun pût fixer des efprits pleins d'incertitude & de défiance.Des moments,qui devenoient tous les jours plus précieux pour agir, fe paffoient en reproches & en invectives. L'aigreur étoit l'ame des délibérations. Perfonne ne pouvoit prévoir où tant de convulfions aboutiroient,lorfqu'unjeune négociant, d'un génie hardi & lumineux, fe hit entendre. A fa voix, les orages fe calment, les cœurs s'ouvrent à l'efpérance; il n'y a qu'un avis, & c'est le fien. La compagnie que les efprits ennemis de tout privilege exclufif defiroient

de voir abolie, & dont tant d'intérêts particuliers avoient juré la ruine, eft maintenue; & ce qui étoit indifpenfable, on la réforme.

Parmi les caufes qui avoient précipité la compagnie des Indes dans l'abyme où elle fe trouvoit, il y en avoit une que le public & les actionnaires regardoient depuis long-temps comme la fource de toutes les autres, & fur laquelle on infifta fortement dans ce moment de crife où l'on n'avoit plus rien à ménager: c'eft la dépendance, ou plutôt la fervitude dans laquelle le gouvernement tenoit la compagnie depuis près d'un demi fiecle.

Dès 1725, la cour avoit elle-même choifi les directeurs. Elle jugea en 1730 que ce n'étoit pas affez de faire régir la fortune des actionnaires par des hommes indépendants d'eux, puifqu'ils n'étoient point à leur nomination. Un commiffaire du roi fut introduit dans l'adminiftration de la compagnie. Dès-lors plus de liberté dans les délibérations plus de relation entre les adminiftrateurs. & les propriétaires; aucun rapport immédiat entre ces mêmes administrateurs & le gouvernement. Tout fe dirigea par l'influence & fuivant les vues du commiffaire du roi. Le myftere, ce voile

dangereux d'une administration arbi traire, couvrit toutes les opérations, & ce ne fut qu'en 1744 qu'on affembla les actionnaires pour la premiere fois depuis vingt ans. On leur montra la vérité, parce qu'on n'avoit plus de reffource à espérer dans le menfonge. Ils furent autorifés à nommer des fyndics. On fit tous les ans une affemblée générale on leur y communiqua un bilan, mais ce bilan n'étoit propre qu'à les égarer. Le roi continua à nommer les directeurs ; & au lieu d'un commiffaire qu'il avoit eu jufqu'alors dans L'adminiftration de la compagnie, il voulut en avoir deux.

Dès ce moment il y eut deux partis. Chacun des commiffaires forma des projets différents, adopta des protégés, & chercha à faire prévaloir fes vues. De-là les divifions, les intrigues, les délations, les haines dont le foyer étoit à Paris, mais qui s'étendirens jufqu'aux Indes, & qui y éclaterent d'une maniere fi funefte pour la nation..

Le miniftere frappé de tant d'abus, & fatigué de ces guerres interminables, y chercha un remede. Il crut l'avoir trouvé en nommant un troifieme commiffaire: il ne fit qu'augmenter le mal. On avoit vu le defpotifme régner lorf

qu'il n'y en avoit qu'un feul, la divifion lorfqu'il y en eut deux ; mais dès l'inftant qu'il y en eut trois, tout tomba dans l'anarchie. On revint à n'en avoir que deux, qu'on tâcha de concilier le mieux qu'on put, & il n'y en avoit même qu'un en 1764, lorsque les actionnaires demanderent qu'on rappellât la compagnie à fon effence en lui rendant fa liberté.

Ils oferent dire au gouvernement que c'étoit à lui à s'imputer les malheurs & les fautes de la compagnie, puisque les actionnaires n'avoient pris aucune part à l'administration de leurs affaires ; qu'elles ne pouvoient être dirigées vers le but le plus utile, & pour eux, & pour l'état, qu'autant qu'elles le feroient librement; & qu'on établiroit des relations immédiates entre les propriétaires & leurs administrateurs, entre les adminiftrateurs & le gouvernement: que toutes les fois qu'il y auroit un intermédiaire, les ordres donnés d'une part, & les représentations faites de l'autre, recevroient néceffairement en paffant par fes mains l'impreffion de fes vues particulieres & de fa volonté perfonnelle, en forte qu'il feroit toujours le véritable & l'unique administrateur de la compagnie; qu'un adminiftrateur de

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