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cette nature, toujours fans intérêt, fouvent fans lumiere, facrifieroit perpétuellement à l'état paffager de fon administration & à la faveur des gens en place, le bien & l'avantage réels du commerce; qu'on devoit tout attendre au contraire d'une administration libre, choifie par les propriétaires, éclairée par eux, agiffanc avec eux, & loin de laquelle on écarteroir constamment toute idée de gêne & d'influence.

Ces raifons furent fenties pas le gou vernement. Il affura à la compagnie fa liberté par un édit folemnel; & ce même négociant qui venoit de lui donner une nouvelle exiftence par fon génie, forma un projet de ftatuts provifoires pour donner une nouvelle forme à fon administration.

Le but de ces inftitutions étoit que la compagnie ne fût plus conduite par des hommes qui fouvent n'étoient pas dignes d'en être les facteurs; que le gouvernement ne s'en mêlât que pour la protéger; qu'elle fût également préfervée, & de la fervitude fous laquelle elle gémiffoit, & de l'efprit de myftere qui y perpétuoit la corruption; qu'il y eût des relations continuelles entre les adminiftrateurs & les actionnaires; que Paris, privé de l'avantage

dont jouiffent les capitales des autres nations commerçantes, celui d'être un port de mer, pût s'inftruire du commerce dans des affemblées libres & paifibles que le citoyen s'y formât enfin des idées justes de ce lien puiffant de tous les peuples, & qu'il apprît en s'éclairant fur les fources de la profpérité publique, à refpecter le négociant qui la nourrit, ainfi qu'à méprifer les profeffions qui la détruifent.

Les événements qui ont fuivi ces infti tutions, ont paru dépofer en faveur de leur fageffe. En quarre années, qui fe font écoulées fous le régime de la liberté, l'administration nouvelle a liquidé & payé moitié en contrats, moitié en argent, foixante millions de dettes contractées dans l'Inde pendant la derniere guerre, ou même dans des temps antérieurs. Elle a fait quatre expéditions fucceffives, au moyen defquelles les ventes fe font fucceffivement élevées à un degré égal, ou même fupérieur à celui auquel elles étoient parvenues dans les temps de la plus grande fplendeur de la compagnie. La premiere, c'est-à-dire celle de 1766, a montré net à la fomme de quatorze millions fept cents nonantehuit mille trois cents trente-fix livres. Celle de 1767, à la fomme de feize

millions neuf cents treize mille huit cents vingt-fix livres, & celle de 1768 à la fomme de vingt-quatre millions fix mille cinq cents fix livres, en tout cinquante-cinq millions fept cents dixfept mille fix cents foixante-huit livres. D'un autre côté, on a fait des réglements fages pour les divers comptoirs, & l'on a rétabli l'ordre & l'économie dans différentes parties de l'adminiftration. Mais ces premiers fuccès, qui ont furpaffé l'attente des actionnaires & du public, n'ont point changé effentiellement l'état de la compagnie. On en jugera facilement parune expofitionexacte & précife de fa fituation actuelle.

Il exiftoit avant 1764 cinquante mille deux cents foixante-huit actions. A cette époque le gouvernement, qui, en 1746, 1747 & 1748, avait abandonné à la compagnie le produit des actions & des billets d'emprunt qui lui appartenoient, lui a facrifié les billets & les actions même, les uns & les autres au nombre de onze mille huit cents trente-cinq pour l'indemnifer des avances qu'elle avoit faites à l'état durant la derniere guerre. Ces actions ayant été annulées, il n'en eft refté que trente-huit mille quatre cents trente-deux. Le nombre s'eft même trouvé réduit depuis à trente

fix miile neuf cents vingt-une, & voici

comment.

Les befoins de la compagnie ont fait décider un appel de quatre cents francs. par action. Trente-huit mille quatre cents trente-deux devoient produire la fomme de quinze millions trois cents. feptante-deux mille huit cents livres ; mais comme trente-quatre mille quatre cents trente-deux actions feulement ont fourni l'appel, la compagnie n'a reçu. que treize millions fept cents feptantedeux mille huit cents livres. L'édit qui a autorifé l'appel, a divifé les actions en huit portions égales, appellées huitiemes d'actions; chacun defquels huitiemes a un capital de huit cents livres, produi fant dix liv. par an, Cela doit s'entendre des actions qui ont fatisfait à l'appel; car les quatre mille qui s'en font difpenfées, ne font réputées que pour cinq huitiemes d'action. Il réfulte de ce calcul que la compagnie ne refte chargée que de deux cents quatre-vingt-quinze mille trois cents foixante-quatorze huitiemes; ce qui fait trente-fix mille neuf cents vingt-une actions entieres & 6 huitiemes.

Le dividende des actions de la compagnie de France a varié comme celui de toutes les autres compagnies, felon les circonftances. Il fut de cent francs en

1722. Depuis 1723 jufqu'en 1745, de cent cinquante. Depuis 1746 jufqu'en 1749, de foixante-dix. Depuis 1750 jufqu'en 1758, de quatre-vingt. Depuis 1759, jufqu'en 1763, de quarante. Il ne fut que de vingt en 1764. Ces détails démontrent que le dividende & la valeur de l'action qui s'y proportionnoit toujours, étoient nécessairement affujettis au hafard du commerce, &au flux & reflux de l'opinion publique. De-là ces écarts prodigieux qui tantôt élevoient, tantôt abaiffoient le prix de l'action; qui de deux cents pistoles la réduifoient à cent dans la même année; qui la reportoient enfuite à dix-huit cents livres pour la faire retomber à sept cents quelque temps après. Cependant au milieu de ces révolutions, les capitaux de la compagnie étoient prefque toujours les mêmes. Mais c'eft un calcul que le public ne fait jamais. La circonftance du moment le détermine, & dans fa confiance comme dans fa crainte, il va toujours au delà du but.

Les actionnaires perpétuellement expofés à voir leur fortune diminuée de moitié en un jour, ne vouloient plus courir les hafards d'une percille fituation. En faifant de nouveaux fonds pour la reprise du commerce, ils demande

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