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vent beaucoup davantage lorfque la récolte est très-abondante. Si elle eft médiocre, tout le fuperflu va fur le Gange, où le prix est toujours plus avantageux.

Quoique Surate reçoive en échange de fes exportations des porcelaines de Chine, des foies de Bengale & de Perfe; des mâtures & du poivre de Malabar; des gommes, des dattes, des fruits fecs, du cuivre, des perles de Perfe; des parfums & des efclaves d'Arabie; beaucoup d'épiceries des Hollandois; du fer, du plomb, des draps, de la cochenille, quelques quincailleries des Anglois; la balance lui eft fi favorable, qu'il lui revient tous les ans en argent au moins douze millions de roupies, elle augmenteroit de beaucoup, fi la fource des richeffes de la cour de Dheli n'étoit pas détournée.

Cette balance cependant ne pourroit jamais redevenir auffi confidérable qu'elle l'étoit, lorfqu'en 1668 les François s'établirent à Surate. Leur chef fe nommoit Caron. C'étoit un négociant d'origine Françoife qui avoit vieilli au fervice de la compagnie de Hollande. Hamilton raconte que cet habile homme qui s'étoit rendu agréable

à l'empereur du Japon, en avoit obtenu la permiffion de bâtir, dans l'ifle où étoit le comptoir qu'il dirigeoit, une maison pour le compte de fes maîtres. Ce bâtiment devint un château fans aucune défiance des naturels du pays qui n'entendent rien aux fortifications. Ils furprirent des canons qu'on envoyoit de Batavia, & inftruifirent la cour de ce qui fe paffoit. Caron reçut ordre d'aller à Jedo rendre compte de fa conduite. Comme il ne put alléguer rien de raisonnable pour fa juftification, il fut traité avec beaucoup de févérité & de mépris. On lui arracha poil à poil la barbe: on lui mit un bonnet & un habit de fou; on l'expofa en cet état à la risée publique, & il fut chaffé de l'empire. L'accueil qu'il reçut à Java, acheva de le dégoûter des intérêts qu'il avoit embraffés, & un motif de vengeance l'attacha à la compagnie Françoife, dont il devint l'agent principal.

Surate où on l'avoit fixé, ne rempliffoit pas l'idée qu'il s'étoit formée d'un établiffement principal. Il en trouvoit la pofition mauvaise. Il gémiffoit d'être obligé d'acheter fa fûreté par des foumiffions. Il voyoit du défavantage à négocier en concurrence avec des nations plus riches, plus inftruites, plus accré

ditées. Il vouloit un port indépendant au centre de l'Inde, dans quelqu'un des lieux où croiffent les épiceries, fans quoi il croyoit impoffible qu'une compagnie pût fe foutenir. La baie de Trinquemale dans l'ifle de Ceylan lui parut réunir tous ces avantages, & il y conduifit une forte efcadre qu'on lui avoit envoyée d'Europe fous les ordres de Lahaye, & dont il devoit diriger les opérations. On crut, ou l'on feignit de croire qu'on pouvoit s'y fixer fans bieffer les droits des Hollandois, dont la propriété n'avoit jamais été reconnue par le fouverain de l'ifle avec qui l'on avoit un traité.

Tout cela pouvoit être vrai, mais l'événement n'en fut pas plus heureux, On publia un projet qu'il falloit taire. On exécuta lentement une entreprife qu'il falloit brufquer. On fe laiffa impofer par une flotte qui étoit hors d'état de combattre, & qui ne pouvoit pas avoir ordre de hafarder une action. La difette & les maladies firent périr la majeure partie des équipages & des troupes de débarquement. On laiffa quelques hommes dans un petit fort qu'on avoit bâti, & où ils furent bientôt réduits à fe rendre. Avec le refte on alla chercher des vivres à la côte de Coromandel. On

n'en trouva ni chez les Danois de Trinquebar, ni ailleurs; & le défespoir fit attaquer Saint-Thomé, où l'on fut averti qu'il régnoit une grande abondance.

Cette ville long-temps floriffante avoit été bâtie, il y a plus d'un fiecle, par les Portugais dans un lieu où leur fuperftition leur fit croire que repofoient les cendres de faint Thomas. Le roi de Golconde ayant conquis le Carnate, ne vit pas fans chagrin dans des mains étrangeres une place fi importante.Illa fitattaquer en 1662 par fes généraux qui s'en emparerent. Ses fortifications, quoique confidérables & bien confervées, n'arrêterent pas les François qui les emporterent d'affaut en 1672. Ils s'y virent bientôt inveftis, & forcés deux ans après à fe rendre, parce que les Hollandois qui avoient appris que leur république étoit en guerre avec Louis XIV joignirent leurs armes à celles des Indiens.

Ce dernier événement auroit achevé de rendre inutile la dépenfe que le gouvernement avoit faite en faveur de la compagnie, fi Martin n'avoit pas été du nombre des négociants envoyés fur l'efcadre de Lahaye. Il recueillit les débris des Colonies de Ceylan &

de Saint-Thomé, & il en peupla la petite bourgade de Pondichery qu'on lui avoit nouvellement cédée, & qui devenoit une ville, lorfque la compagnie conçut les plus belles efpérances d'un nouvel établiffement qu'on eut occafion de former dans l'Inde.

Quelques prêtres des miffions étrangeres avoient prêché l'évangile à Siam. Ils s'y étoient fait aimer par leur morale & par leur conduite. Simples, doux, humains, fans intrigue & fans avarice, ils ne s'étoient rendu fufpects ni au gouvernement, ni aux peuples; & ils leur avoient infpiré du refpect & de l'amour pour les François en général, & pour Louis XIV en particulier.

Un Grec d'un efprit inquiet & ambitieux, nommé Conftantin Phaulcon, voyageant à Siam, avoit plu au prince, & en peu de temps il étoit parvenu à l'emploi de principal miniftre, ou barcalon, charge à peu près femblable à celle de nos anciens maires du palais.

Phaulcon gouvernoit defpotiquement le peuple & le roi. Ce prince étoit foible, valétudinaire & fans postérité. Son miniftre forma le projet de lui fuccéder, peut-être même celui de le

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