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çois furent établis à Siam, la compagnie chercha à s'introduire au Tonquin. Elle fe flattoit de pouvoir négocier avec fûreté, avec utilité chez une nation que les Chinois avoient pris foin d'inftruire il y avoit environ fept fiecles. Le théifme y domine, c'est la religion de Confucius, dont les dogmes & les livres y font révérés plus qu'à la Chine même. Mais il n'y a pas, comme à la Chine, le même accord entre les principes du gouvernement, la religion, les loix, l'opinion & les rites. Auffi, quoique le Tonquin ait le même législateur, il s'en faut bien qu'il ait les mêmes mœurs. Il n'a, ni ce refpect pour les parents, ni cet amour pour le prince, ni ces égards réciproques, ni ces vertus sociales qui regnent à la Chine. Il n'en a point le bon ordre la police, l'induftrie & l'activité.

Cette nation, livrée à une pareffe exceffive, à une volupté fans goût & fans délicateffe, vit dans une défiance continuelle de fes fouverains & des étrangers, foit qu'il y ait dans fon caractere un fonds d'inquiétude, foit que fon humeur féditieufe vienne de ce que la morale des Chinois qui a éclairé le peuple, n'a pas rendu le gouvernement meilleur. Quel que foit le cours des lumieres, qu'elles aillent de la nation au

gouvernement, ou du gouvernement à la nation, il faut toujours que l'un & l'autre fe perfectionnent à la fois & de concert, fans quoi les états font exposés aux plus grandes révolutions. Auffi, dans le Tonquin, voit-on un choc continuel des eunuques qui gouvernent, & des peuples qui portent impatiemment le joug. Tout languit, tout dépérit au milieu de ces diffentions; & le mal doit empirer, jufqu'à ce que les fujets aient forcé leurs maîtres à s'éclairer, ou que les maîtres aient achevé d'abrutir leurs fujets. Les Portugais, les Hollandois, qui avoient effayé de former quelques liaifons au Tonquin, s'étoient vu forcés d'y renoncer. Les François ne furent pas plus heureux. Il n'y a eu depuis entre les Européens que quelques négociants particuliers de Madras qui aient fuivi, abandonné & repris cette navigation. Ils partagent avec les Chinois l'exportation du cuivre & des foies communes, les feules marchandifes de quelque importance que fourniffe le pays.

La Cochinchine étoit trop voifine de Siam pour ne pas attirer auffi l'attention des François; & il est vrai femblable qu'ils auroient cherché à s'y fixer, s'ils avoient eu la fagacité de

prévoir ce que cet état naiffant devoit devenir un jour. Il n'y avoit pas alors plus d'un demi fiecle qu'un prince du Tonquin, fuyant devant fon fouverain qui le pourfuivoit comme un rebelle, avoit franchi avec fes foldats & fes partifans le fleuve qui fert de barriere entre le Tonquin & la Cochinchine, Les fugitifs aguerris & policés chafferent bientôt des habitants épars qui erroient fans loix & fans fociété dans un pays où l'homme n'en a pas befoin pour être heureux. Ils y fonderent un empire fur la culture & la propriété. Le riz étoit la nourriture la plus facile & la plus abondante. Il eut les premiers foins de ces nouveaux colons. Les plaines en furent couvertes, parce que les chan ps fe trouvoient naturellement inondés par une infinité de fources qui tombent des montagnes, & dont l'art peut très-aifément diriger le cours à fon gré. Ils s'étendirent fur les plaines de Camboge, qui étoient comme abandonnées. La mer & les rivieres attirent des habitants fur leurs bords par une profufion d'excellents poiffons. On éleva des animaux domeftiques, les uns pour s'en nourrir, les autres pour s'en aider au travail. On cultiva les arbres les plus néceffaires,

tel que le cotonier pour se vêtir. Ón négligea les fruits, qui ne fournissoient pas à proportion autant de fubfiftance que les grains. Les montagnes & les forêts qu'il n'étoit pas poffible de défricher, donnerent du gibier, des métaux, des gommes, des parfums & des bois admirables. Ces productions fervirent de matériaux, de moyens & d'objets de commerce. On conftruifit les cent galeres qui défendent conftamment les côtes du royaume.

Tous ces avantages de la nature & de la fociété étoient dignes d'un peuple qui a les mœurs douces, & qui tient en partie des femmes un caractere humain: foit que ce fexe doive un fi précieux afcendant à fa beauté, ou que ce foit un effet particulier de fon affiduité au travail & de fon intelligence pour les affaires. En général, dans le commencement des fociétés, les femmes font les premieres à fe policer. Leur foibleffe même, & leur vie plus fédentaire, plus occupée de détails variés & de petits foins, leur donnent plutôt ces lumieres & cette expérience, ces attachements domeftiques, qui font les premiers inftruments & les liens les plus forts de la fociabilité. C'est peutêtre pour cela qu'on voit chez plu

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fieurs peuples fauvages les femmes chargées des premiers objets de l'administration civile, qui font une fuite de l'économie domeftique. Tant que l'état n'eft qu'une espece de ménage, elles gouvernent l'un & l'autre. C'eft alors, fans doute, que les peuples font les plus heureux, fur- tout quand ils vivent fous un climat où la nature n'a prefque rien laiffé à faire aux hommes.

Tel eft celui qu'habitent les Cochinchinois. Auffi ce peuple goûte-t-il dans l'imperfection de fa police un bonheur qu'on ne fauroit trop lui envier dans les progrès d'une fociété plus avancée. Il ne connoît ni voleurs, ni mendiants. Tout le monde y a droit de vivre dans fon camp ou chez autrui. Un voyageur entre dans une maison de la peuplade où il fe trouve, s'affied à table mange, boit, fe retire, fans invita tion, fans remerciement, fans queftion. C'est un homme, dès-lors il eft ami, parent de la maifon. Fût-il d'un pays étranger, on le regarderoit avec plus de curiofité; mais il feroit reçu avec la même bonté.

Ce font les fuites & les reftes du gouvernement des fix premiers rois de la Cochinchine, & du contrat focial qui fe fit entre la nation & fon conducteur,

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