positions des art. 795 et 797, desquelles il résulte évidemment qu'après les délais fixés par le premier de ces articles, il peut être obtenu des condamnations contre l'héritier qui n'a pas renoncé, ne se trouvent pas abrogées par la disposition de l'art. 800? Mais, s'il était vrai que, malgré la déclaration légalement faite par l'héritier qu'il n'entend accepter que sous bénéfice d'inventaire, et quoiqu'il eût commencé l'inventaire prescrit par la loi, il pût être cependant condamné et contraint comme héritier pur et simple, å quoi lui servirait donc, à l'égard des créanciers, la faculté qui lui est accordée par l'art. 800, de faire encore inventaire et de se porter héritier bénéficiaire, même après les délais fixés par l'article 795? D'autre part cependant, s'il suffisait que, même plusieurs années après l'expiration de ces délais, l'héritier déclarât accepter sous bénéfice d'inventaire, pour arrêter les poursuites dirigées contre lui par les créanciers de la succession, les dispositions des art. 795 et 797 ne seraient-elles pas absolument illusoires, puisque l'héritier pourrait impunément se soustraire, pendant trente ans, à ce qu'elles prescrivent? Il me semble que, pour concilier ces divers articles, il faut entendre ou appliquer l'art. 800, dans ce sens : 1° Que son objet principal a été que les créanciers de la succession ne pussent opposer à l'héritier, qui voudrait faire inventaire et se porter héritier bénéficiaire, après les délais fixés par l'article 795, qu'il n'en a plus la faculté, pour ne l'avoir pas exercée dans ces délais; 2o Qu'il n'empêche pas que les créanciers puissent commencer ou continuer des poursuites contre l'héritier, malgré la déclaration qu'il a faite, et quoiqu'il ait commencé l'inventaire, et que l'article 800 ne déroge pas, non plus, aux articles 798 et 799, qui mettent les frais de ces poursuites à la charge personnelle de l'héritier ; 3o Mais aussi, que d'après son intention et l'objet qu'il s'est proposé, les tribunaux ont le droit, suivant les circonstances, de surseoir, pendant de courts délais, soit à la continuation des poursuites, soit à prononcer des jugemens définitifs de condamnation contre les héritiers qui ont légalement déclaré vouloir ne se porter qu'héritiers bénéficiaires, et qui ont commencé l'inventaire. 2. Il y a cependant deux cas où l'héritier ne peut plus se porter héritier bénéficiaire. Le premier cas est celui où il a déjà fait acte d'héritier pur et simple. Ayant consommé l'option qui lui était déférée, d'accepter purement et simplement, ou d'accepter sous bénéfice d'inventaire, il ne peut plus revenir contre l'espèce d'acceptation pour laquelle il s'est déterminé, si ce n'est dans les circonstances prévues par l'art. 783. Le second cas est celui où il existe contre lui un jugement, passé en force de chose jugée, qui le condamne comme héritier pur et simple, à défaut par lui d'avoir renoncé ou d'avoir fait inventaire dans les délais prescrits. On entend par jugemens passés en force de chose jugée, tous les jugemens soit contradictoires, soit même par défaut, contre lesquels on ne peut plus se pourvoir, ou par opposition, ou par appel, ou par requête civile, ou par recours en cassation. 3. Sur le second cas, il se présente une question importante. Lorsqu'il existe contre l'héritier un jugement passé en force de chose jugée, qui le condamne comme héritier pur et simple, n'estce qu'à l'égard du créancier qui a obtenu le jugement, qu'il se trouve privé de la faculté de se porter héritier bénéficiaire? ou bien en est-il également privé à l'égard de tous les autres créanciers, à l'égard des légataires, à l'égard de ses cohéritiers? 1 On peut également demander si ce n'est qu'à l'égard du créancier qui a obtenu le jugement, que l'héritier condamné comme héritier pur et simple se trouve privé de la faculté de renoncer, ou bien s'il en est privé d'une manière absolue et à l'égard de toutes les personnes intéressées à ce qu'il soit héritier pur et simple. Ces deux questions sont très-controversées depuis l'émission du Code civil, et les difficultés naissent des termes généraux et illimités dans lesquels l'art. 800 semble avoir prohibé l'acceptation sous bénéfice d'inventaire, lorsqu'il existe contre l'héritier un jugement passé en force de chose jugée, qui l'a condamné comme héritier pur et simple. Avant le Code civil, il paraît que les auteurs étaient assez géné ralement d'accord que les effets du jugement étaient restreints en faveur du créancier qui l'avait obtenu. Voici comment s'explique à cet égard Pothier, dans son Traité des successions, chapit. III, sect. V: « L'héritier ainsi condamné en qualité d'héritier, envers un créancier ou un légataire, par un jugement souverain ou en dernier ressort, est bien obligé, à cause de l'autorité de la chose jugée, à payer les sommes auxquelles il est condamné; mais il ne devient pas héritier pour cela : car il ne peut être héritier sans avoir voulu l'être, selon notre règle du droit coutumier, n'est héritier qui ne veut. C'est pourquoi cette condamnation n'empêchera pas cet héritier de renoncer valablement à la succession par la suite, vis-à-vis des autres créanciers et légataires, qui ne pourront pas lui opposer l'arrêt de condamnation qui a été rendu contre lui en qualité d'héritier, parce qu'ils n'étaient point parties en cet arrêt, et que c'est un principe de droit, qu'un jugement ne fait loi qu'entre les parties entre lesquelles il a été rendu : Res inter alios judicata aliis nec prodest nec nocet. » On peut, sous le Code civil, tirer les mêmes argumèns de la disposition de l'art. 1351, ainsi conçu : « L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement : il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. » Mais la disposition de l'art. 800 ne contient-elle pas, pour le cas spécial qu'elle a traité, une exception réelle à la règle générale établie par l'art. 1351? Tel est le véritable point de la difficulté. Recherchons d'abord quelle peut avoir été l'intention des législateurs à cet égard. La question leur a été soumise, lors de la rédaction de la loi; ils l'ont discutée, et l'on doit trouver dans le procès-verbal de leurs conférences, comment ils ont entendu la décider, dans quel sens ils ont arrêté la disposition de l'art. 800. Les rédacteurs du premier projet du Code civil avaient proposé un article qui portait que, quoique les délais pour faire inventaire et pour délibérer fussent expirés, l'héritier conservait la faculté de faire inventaire, et de se porter héritier bénéficiaire, pourvu qu'il n'eût pas fait acte d'héritier, ou qu'il ne fût pas intervenu de ju gement contradictoire et passé en force de chose jugée, qui l'eût condamné en qualité d'héritier pur et simple. Les rédacteurs voulaient, par cette disposition, ainsi qu'ils s'en sont eux-mêmes expliqués, qu'un héritier condamné comme héritier pur et simple, par un jugement contradictoire, fût déchu, à l'égard de toutes personnes, de la faculté de se porter héritier bénéficiaire, mais qu'il ne fût pas privé de cette faculté par un simple jugement par défaut. La section de législation du conseil d'état eut une autre opinion, et proposa un autre article dont voici les termes : « Celui contre lequel un créancier de la succession a obtenu un jugement, même contradictoire, passé en force de chose jugée, qui le condamne comme héritier, n'est réputé héritier en vertu de ce jugement, qu'à l'égard seulement du créancier qui l'a obtenu. » Mais, sur cet article, il s'éleva dans le conseil d'état, à la séance du 9 nivôse an 11, une longue discussion, que je crois devoir rapporter tout entière, parce qu'elle est très-importante pour la décision des questions que j'examine en ce moment. Je copie le procès-verbal. « Le C. Tronchet dit que, dans le projet de Code civil, on avait fait une distinction entre les jugemens contradictoires et les jugemens par défaut. Ces derniers ne profitaient qu'aux demandeurs; mais, quand la qualité contestée par l'héritier avait été jugée contradictoirement avec lui, elle était constatée à l'égard de tous. >> Le C. Treilhard dit que la section n'a pas cru devoir admettre la distinction. En principe général, les jugemens contradictoires, ou par défaut, ne profitent qu'à ceux qui les obtiennent, et il est possible, d'ailleurs, que le condamné ait été mal défendu, qu'il ait été trahi par ses défenseurs, et qu'on n'ait point allégué tous ses moyens. >> Le C. Defermon objecte qu'il est possible aussi le conque damné traité avec sa partie adverse, retire les pièces et les supprime. » Le C. Treilhard répond que, si l'on s'arrête aux prévarications possibles, aucune loi ne peut être bonne. Au surplus, l'existence des pièces est constatée par le premier jugement. >> Le C. Boulay objecte que la vérité est une, et qu'on ne peut avoir, à l'égard de l'un, une qualité qu'on n'ait point à l'égard d'un autre. » Le C. Muraire dit qu'il serait difficile de ne pas regarder comme ayant accepté l'hérédité, celui qui a laissé passer en force de chose jugée le jugement qui le déclare héritier; par son silence, il a évidemment manifesté sa volonté ; cette preuve est même plus forte que celle qu'on peut tirer d'un acte sous seing privé. » Le C. Emmery dit que cet argument n'a de force que dans le cas d'un jugement contradictoire. A l'égard des jugemens par défaut, ils sont souvent obtenus à l'insu de celui qu'ils frappent. On objectera qu'ils sont susceptibles d'opposition; mais les déboutés d'opposition s'obtiennent d'une manière aussi cachée que les jugemens par défaut; et quand on considère que la négligence d'un avoué, ou d'un domestique, peut compromettre la fortune d'un citoyen, on est disposé à donner moins d'importance à ces sortes de condamnations. » Le C. Maleville dit que, si celui qui a fait acte d'héritier est par cela seul réputé, à l'égard de tous, avoir accepté la succession, à plus forte raison doit-il en être ainsi de celui dont la qualité a été jugée d'après une plaidoirie contradictoire. Pour faire adopter l'opinion contraire, on dit qu'un jugement n'a de force qu'à l'égard de celui contre lequel il est rendu, et qu'il est étranger à tous les autres; mais on pourrait faire la même observation visà-vis du successible qui a payé volontairement un seul des créanciers de la succession, ou qui poursuit en revendication l'usurpateur de quelque fonds de cette succession; cependant, dans ce cas, on convient que le successible a fait irrévocablement un acte d'héritier, et qu'il est tenu comme tel, vis-à-vis de tout le monde; on n'invoque point la règle, res inter alios acta. Mais pourquoi, dans la même matière, cette règle aurait-elle plus d'effet contre un jugement solennel qui déclare positivement que tel est l'héritier de tel? » Le C. Treilhard dit qu'il y a entre ces deux cas cette différence que, dans le premier, l'appelé a manifesté la volonté d'être héritier; que dans le second, au contraire, il a désavoué cette qualité. » Le C. Bigot-Préameneu dit qu'il serait bizarre d'obliger chaque créancier à faire juger de nouveau la qualité d'héritier. A la |